EDITEURS,JE VOUS HAIS ! PORTES REFERMEES ; VOUS AVEZ TUE MA MERE !
Je m’appelle Eléonore et je viens d’avoir dix-huit ans. Pas de fête pour mon anniversaire, aucune joie. Seulement un trop plein de haine… Une haine tenace. Je hais les éditeurs ! Il n’y a personne que je ne déteste plus ! Ma mère est morte à cause d’eux… Elle s’est tiré une balle dans la tête, un jour de grosse déprime. Mon père l’avait quittée il y a environ un an, elle avait eu du mal à s’en remettre ; naïvement, elle pensait qu’il lui était tellement attaché qu’il ne partirait jamais. Depuis, elle supportait encore moins qu’on lui refuse à chaque fois son manuscrit. Toute réponse négative la plongeait aussitôt dans un désespoir profond qui durait des mois.
Déjà, je l’avais vue petit à petit s’user moralement d’années en années, quand elle envoyait par la poste des ouvrages dont personne ne voulait. Et pour lesquels elle guettait ensuite avec anxiété la moindre lettre. Une attente qui durait une éternité, souvent plusieurs mois. Ce qui ajoutait encore à son supplice.
Oh, oui ! Je les hais profondément, ces affreux éditeurs ! Comment ne le pourrais-je ? Après ce drame, je ne peux bien sûr que les haïr !
Et en premier, tous ceux qui ne pensent qu’à faire du chiffre, au détriment des vrais talents littéraires. Ceux-là ne sont plus que des marchands de soupe pour la plupart, que d’ignobles mercantiles ! Ils prétendent qu’ils ne peuvent agir autrement… que le monde de l’édition est en crise… Qu’ils ont trop de charges. Mon œil ! C’est surtout qu’ils ne veulent plus se battre pour faire connaître de talentueux inconnus, oui ! Ils préfèrent l’argent facile, ce qui va leur rapporter gros sans trop se bouger le cul… Des histoires sans intérêt, mais bien croustillantes ! Du genre petits potins des gens du show-biz ou assimilés… C’est trop injuste, à la fin ! Et s’il y a des lecteurs pour acheter ce genre de bouquins, c’est qu’ils n’en sont pas vraiment… Pour moi, ce ne sont que des voyeuristes déguisés ! Les lecteurs d’aujourd’hui ne sauraient-ils plus lire ?... Ne rechercheraient-ils plus avant tout que la facilité, eux aussi ? S’il en est ainsi, c’est désastreux et écœurant ! Là encore, je suis tout à fait d’accord avec ma chère maman… Parce que c’est ce qu’elle m’affirmait souvent.
Depuis toute petite, j’ai le souvenir de ma mère travaillant le soir dans son bureau, aussitôt le repas terminé. Elle s’y enfermait après un rapide bonsoir à mon père, mon frère et moi-même. Sous aucun prétexte, nous ne devions la déranger. Elle écrivait toute la nuit, et ne se couchait que vers les deux ou trois heures du matin. Elle disait que sa meilleure inspiration lui venait le soir, qu’elle était plus tranquille… Je me souviens qu’au début, – je devais avoir dans les dix ans – j’entendais mon père sortir de sa chambre et redescendre pour la supplier de monter se coucher. Je le sais, parce que c’est vers cet âge-là que j’avais pris l’habitude de lire au lit avant de dormir ; et, bien sûr, je ne savais pas m’arrêter… Mais mon père, par la suite, ne redescendait jamais plus. Il a dû se lasser et y renoncer, à force de toujours remonter seul…
Alors, à la longue, – je l’ai compris depuis – c’est sans doute ainsi que mes parents ont perdu toute intimité. La passion que ma mère, du moins je le suppose, devait avoir éprouvée pour mon père, s’était transformée en une autre beaucoup plus abstraite, celle de l’écriture… Une passion dévorante, si envahissante, que plus rien d’autre ne semblait vraiment compter pour elle ; nous tous, passions bien après… Mais je pense quand même que si maman n’avait pas dû tant galérer pour tenter de se faire publier, elle aurait été plus cool avec tout le monde. Et avec mon père en particulier, ce qui aurait empêché leur couple de se détruire.
Mon frère et moi n’en souffrions pas trop ; elle nous donnait malgré tout l’affection dont nous avions besoin. Disons, pour être tout à fait honnête, que nous en recevions la qualité, plus que la quantité, mais que nous n’en ressentions pas de réelle frustration. C’est plutôt notre père, qui en souffrait terriblement. Même s’il n’en disait rien, ça se voyait à son air, à ses attitudes… Lui qui était d’un naturel plutôt enjoué, est devenu triste et taciturne. On voyait bien qu’il n’était pas heureux. Il a quand même supporté comme il a pu très longtemps. Il devait toujours espérer… Et puis, il y a environ un an, peu avant mes dix-sept ans, il a fini par claquer la porte. Façon de parler, d’ailleurs, parce qu’il s’est plutôt retiré sur la pointe des pieds… Depuis des années, il avait dû par force s’y habituer, pendant que maman frappait avec frénésie sur son clavier… Toute la maisonnée avait pour consigne le silence, lorsqu’elle se trouvait dans son bureau… Et cette fois-là, il s’est retiré pour de bon, définitivement.
Même si à présent je comprends encore mieux ma mère, j’estime que mon père a eu malgré tout beaucoup de patience. Je reconnais que cette situation n’était vraiment pas évidente à supporter pour un mari. D’ailleurs, si mon petit ami se comportait comme maman, c’est une chose que je ne pourrais absolument pas accepter. Mais comme je vois que tout change avec les années qui passent, moi-même je ne suis peut-être pas au bout de mes peines de ce côté-là…
Toujours est-il que dans le cas présent, c’est bien à cause de tout ça, de cet abominable gâchis dans nos vies, si je hais autant les éditeurs ! Et doublement ! Parce que maintenant, voilà qu’ils se réveillent enfin ! Quand c’est trop tard ! Je les tiens pour responsables… C’est quand même de leur faute, si je viens de perdre ma mère. C’était déjà quasiment à cause d’eux, si mon père était parti… Par leur faute, la vie de ma famille a été fichue en l’air ! J’ai dix-huit ans, et voici que je me retrouve seule avec mon frère âgé de treize ans… Quel beau départ dans la vie, pour lui et moi ! Nous partirons bientôt vivre chez notre père. Mais rien ne sera plus pareil, notre mère est irremplaçable…
Nous sommes brisés tous les deux, mon frère pleure sans arrêt, et moi presque autant. On a déjà l’impression que notre vie est foutue, avant même qu’elle ne commence… Et pourquoi ? Parce qu’aucun de ces messieurs-dames des maisons où maman s’était adressée, n’avait alors daigné prendre le temps de s’intéresser à ses textes… Et pourtant, ils auraient pu le faire avant, puisqu’ils l’ont bien fait depuis ! Il suffisait qu’ils le fassent, et nous n’en serions pas là aujourd’hui… C’est horrible ! Je leur en veux à mort !
Parfois, dans les réponses négatives que ma mère recevait, on lui mettait des annotations qui lui faisaient mal : « Narration trop classique », « Style trop traditionnel », formulaient certains, tandis que d’autres lui assuraient que ses histoires étaient intéressantes, originales et bien écrites, mais qu’ils étaient plutôt à la recherche d’une forme d’écriture particulière. Elle ne comprenait pas. Elle me disait : « Mais qu’est-ce qu’ils veulent donc ?... Peut-être que si j’écrivais mes phrases à l’envers, en commençant par la fin, ça leur conviendrait ? Là, ce serait vraiment particulier ! Et si j’écrivais des mots à la suite, sans point, sans virgule, d’une seule traite ? Et pourquoi pas des textes du genre rébus ?... Ce qu’ils veulent, c’est peut-être un style qui innove, même s’il est incohérent ou hermétique ? N’importe quoi, en fait, même si c’est merdique ? Eh bien, non ! Je refuse toute innovation de ce genre ! Faire original à tout prix, dans le but de ne pas écrire comme tout le monde… et surtout, pour qu’il en soit parlé le plus possible, est uniquement une technique de vente, un coup de marketing ! C’est malhonnête pour le lecteur, à qui l’on se doit de remettre un ouvrage qui lui apportera quelque chose, dont il restera quelque chose en refermant le livre… A moi, ce qui me paraît le plus judicieux, le plus motivant pour le lecteur, c’est déjà de trouver un sujet intéressant ; et d’écrire dessus, de la façon la plus passionnante, la plus agréable possible… Concocter une histoire qui en soit vraiment une, et non un assemblage de mots, de lignes, qui forment des paragraphes énoncés tout exprès de façon inhabituelle afin de surprendre et de choquer.
Vian, Queneau ou Céline ont innové en leur temps… Ils ont même choqué parfois. Mais dans le bon sens : ils furent les premiers à introduire le langage écrit sous une forme parlée, ce qui renforçait leurs textes en les rendant plus vivants. Et ce qui n’exclut pas pour autant que ce qu’ils racontaient se tenait, était de vraies histoires. On pourrait se poser la question suivante : quel est le plus important, l’écriture elle-même, ou le thème choisi ? Pour moi, l’un ne va pas sans l’autre. Un beau sujet qui est mal traité, ou une superbe écriture sur une histoire sans intérêt, ne valent rien dans un cas comme dans l’autre… Est-ce que, Effroyables jardins, pour ne citer que celui-là, n’est pas un texte superbe et magnifiquement écrit, par hasard ? Heureusement qu’on en trouve parfois… Voilà le genre de récit qui me va droit au cœur ! Une écriture d’une grande pureté… Directe, concise, sans fioriture, sans maniérisme… Michel Quint à eu la chance de trouver une éditrice aimant un certain classicisme. Et quand je repense aux livres de Bazin, Mauriac ou Camus, par exemple… C’est bien de la narration classique, là encore. Mais quel plaisir de les lire ! « C’est daté », disent certains… Ils ont tout faux ! Des sujets tels que, par exemple, Vipère au point, Thérèse Desqueyroux, L’étranger et La peste, seront toujours d’actualité ; ils sont indémodables ! Pour ma part, c’est vrai, je revendique nos racines latines… Le bon français se perd, celui des origines. Du reste, on le voit tous les jours… Tu l’as bien vu au lycée, Eléonore… En sixième, tu étais parmi les meilleures en français et il y en avait peu. Il faut voir le nombre d’élèves qui ne maîtrisent pas leur propre langue, arrivés à ce stade… Vois-tu, j’aimerais me situer comme l’une des gardiennes de l’héritage littéraire de nos ancêtres les plus célèbres. J’ai une telle admiration pour eux… Personne n’a jamais fait mieux jusqu’à présent. Je suis une fervente adepte de Jean d’Ormesson et de ces quelques autres, qui tirent la sonnette d’alarme pour dénoncer que notre belle langue tend à perdre ses lettres de noblesse. Déjà, je suis atterrée à chaque fois, lorsque je lis les courriers que nous envoie Lucia, ta cousine. Cousus de fautes… Elle vient pourtant d’entrer à hypokhâgne… ».
Mon Dieu ! Quand je me souviens de tout ce qu’elle me disait, ma mère, j’en ai immédiatement les larmes aux yeux… Et je jure bien que si ce n’était pour elle, par respect pour sa mémoire, j’irais les trouver, moi, ces crétins d’odieux éditeurs ! Pour leur dire ce que je pense ! Je prendrais avec moi leur maudite réponse, et je la déchirerais devant eux, cette lettre qui a tant fait souffrir maman ! Même celle que je viens de recevoir du dernier éditeur, à qui elle avait sans y croire et dans un ultime sursaut adressé ses manuscrits… Et sur laquelle brillent enfin ces mots qui auraient été magiques pour elle, et qu’elle ne pourra jamais lire, malheureusement : « Nous avons le plaisir de vous informer que vos manuscrits ont été retenus pour publication… ». Et je leur en jetterais avec force tous les morceaux au visage, en crachant dessus !
Parce que moi, je me suis toujours intéressée à ce qu’elle écrivait, ma mère. Et pas seulement parce que je suis sa fille. Forcément, quand on aime lire autant que moi…
D’ailleurs, j’ai toujours été sa première lectrice. Elle me faisait lire tous ses chapitres, dès qu’ils étaient achevés… Et elle attendait ensuite mon verdict. Bien sûr, pas tout de suite, seulement quand j’ai eu douze ans. Et dès quinze ou seize ans, mon jugement se faisait de plus en plus objectif… Je n’hésitais pas à donner mon point de vue sur ce que je jugeais être les points forts et les points faibles de ses textes. C’est d’ailleurs ce qu’elle voulait, maman. Elle m’affirmait que je lui étais d’autant plus précieuse, et que c’était lui rendre service. J’étais devenue très critique… Je pense même que c’est ce qui m’a donné l’idée de mon futur métier. Critique littéraire… Comme ça, je pourrais écrire de nombreux articles sur les livres de maman, et aider des auteurs dans son cas. En quelque sorte, la venger plus tard…
Donc, ma mère m’écoutait souvent et réécrivait certains passages. C’est fou, ce qu’elle a pu peaufiner ses textes ! Elle les reprenait sans cesse. Elle n’était jamais satisfaite. Une de ses formules préférées, pendant qu’elle travaillait : « La perfection n’est pas de ce monde, et c’est parfois aussi bien. Mais quand on pratique un art, on doit être perfectionniste, ou alors s’abstenir. L’art est égoïste, il demande beaucoup… Il faut tout lui donner. C’est la seule façon d’en obtenir satisfaction en retour. C’est d’ailleurs à ça, qu’on reconnaît le véritable artiste… ».
Une chose qui lui plaisait aussi énormément, c’est que je donne ses récits terminés à lire à mes amis du lycée. J’emmenais ensuite ceux-ci à la maison, pour qu’ils lui fassent leurs commentaires. Nous passions ainsi tous ensemble des après-midis entiers à commenter ses romans, à les analyser. C’était passionnant, nous étions tous épris de littérature. Durant ces moments-là, maman revivait, exultait, oubliant pour un temps ses tracas d’auteur non reconnu. D’autant que mes amis appréciaient totalement ce qu’elle écrivait et lui assuraient qu’elle serait un jour connue. Certains d’entre eux étaient également ses élèves, puisqu’elle était prof de dessin dans mon lycée. C’est, du reste, grâce à sa profession, si elle avait beaucoup de temps libre pour écrire.
Maman me disait souvent : « Tu vois, Eléonore, les jeunes aiment ce que je ponds… La plupart des moins jeunes aussi, d’ailleurs. Tu sais que je donne mes textes à lire à certains de mes collègues… Je suis donc certaine que mes romans plairaient aux ados et aux adultes. Mes livres se vendraient forcément bien… Et dire qu’aucun éditeur ne veut me publier ! ». En général, ça, c’était les jours de désespoir, quand elle venait encore de recevoir une réponse négative…
Et pourtant, oui, c’est vraiment bien, ce qu’elle a écrit, ma mère ! J’ai été sa première admiratrice. Son imagination féconde et étrange, sa façon de raconter, me surprenaient toujours. J’aimerais pouvoir écrire comme elle… Evidemment, j’ai mes préférences. Certains de ses textes me parlent plus que d’autres, certains me laissent perplexe, ou encore me touchent beaucoup moins. Mais ça, c’est normal, c’est toujours ce que je ressens dans n’importe laquelle de mes lectures, auteur connu ou non… N’empêche que j’estime que ma mère a beaucoup de talent ! Un réel talent d’écrivain… Pas comme certains, qui se prennent pour tels, simplement parce qu’ils jouent du stylo ou du clavier, et qu’ils sortent un nombre impressionnant de feuilles de leur imprimante. Aligner des mots, ça, tout le monde peut le faire ! C’est la première chose qu’on nous apprend à l’école… Je n’ai peut-être pas vraiment la qualité pour en juger, et sans doute pas assez de pratique, mais vu que la matière où je suis la plus forte, c’est justement la littérature, et que je lis énormément, il m’est donc possible de comparer, d’analyser, tout en demeurant objective…
D’autant plus qu’il y a une chose qui s’avère absolument certaine : maintenant, je peux être sûre de ne pas m’être trompée, puisque ceux qui ont pendant si longtemps ignoré maman veulent à présent lui publier tous ses textes ! Ça, c’est bien une preuve irréfutable !
Elle qui était constamment en quête de reconnaissance, me confiait souvent avec un extrême désarroi : « Malheureusement, ma petite fille, un auteur n’existe, ne prend sa vraie dimension, que lorsqu’un éditeur lui donne droit de parole… C’est la seule façon qu’il a de devenir crédible. Sans l’éditeur, l’auteur n’est rien. Et puis, à quoi sert-il d’écrire, si personne ne vous lit ? Alors, tu comprends, Eléonore, pour l’instant, c’est comme si mes textes n’existaient pas. Je suis un fantôme qui tente vainement de se matérialiser… ».
Ô, tous ces souvenirs qui font mal… toutes ces paroles de ma mère, qui résonnent à présent dans ma tête… Bande de salauds d’éditeurs ! Vous ne pouviez pas vous décider avant ? Honte sur vous, qui l’avez fait mourir à petit feu, qui l’avez amenée à se suicider par désespoir !…
Oui, je vous hais de toutes mes forces ! Je vous haïrai jusqu’à la fin de ma vie ! Et encore davantage, ceux qui lui avaient fait miroiter une publication… Ceux qui devaient lui adresser un contrat qui n’est jamais arrivé… Ceux qui lui en ont pourtant signé un, mais qui n’ont finalement jamais sorti son ouvrage… C’est ceux-là, les pires ! Parce qu’à chaque fois, maman reprenait espoir, elle pensait voir la fin du calvaire, la reconnaissance de son travail. Et tout s’écroulait, tout était à recommencer !
Par exemple, il y en avait eu un qui lui avait envoyé un e-mail lui annonçant qu’il voulait publier son avant-dernier roman… Qu’il allait lui adresser le contrat s’y rapportant. Mais le contrat ne lui a finalement jamais été envoyé, tout simplement parce que ma mère, qui a bien eu raison, ne voulait pas que ce soit la femme de l’éditeur qui réécrive tout un chapitre à sa place…
Et quand je pense à cette garce d’éditrice, surtout… La présidente des éditions du Manoir.… Celle avec qui maman travaillait en dernier. La pire, celle-là… Espagnole d’origine… Ferra, qu’elle s’appelait. Une vraie folle ! Une fieffée menteuse, et malhonnête, en plus… Faut voir comme elle a fait marcher maman. Un an et demi, qu’elle l’a menée en bateau… Et que je t’appelle, en flattant ma mère… En lui disant qu’elle aimait tout ce qu’elle avait écrit. Ses trois derniers romans, qu’elle lui avait retenus… Maman était enfin tranquille, à ce moment-là. Elle avait reçu les trois contrats, elle voyait enfin le bout du tunnel… Et pourtant, parallèlement, déjà, elle commençait à douter de la Ferra… Parce qu’il avait fallu les lui réclamer plusieurs fois, les contrats promis !
Ensuite, ça avait continué à être désastreux… Les corrections expédiées par la poste, ou par e-mails et télécopies, posaient toujours problème. Où elles n’arrivaient pas, et il fallait faire des relances incessantes, où lorsqu’elles finissaient par arriver, ce n’étaient pas les bons textes et ils étaient incomplets… Plusieurs fois, la Ferra fit le coup d’affirmer avoir fait l’envoi, mais c’était du pipeau. Elle prétendait ensuite que ce devait être de la faute de la poste… Ma mère s’arrachait les cheveux, elle en était malade ! En fin de compte, elle n’a jamais reçu le dernier bon à tirer, le BAT, comme on dit, celui qu’elle venait de finir de corriger et qui aurait dû être donné à imprimer. Mais c’était fait exprès… L’éditrice faisait tout trainer sciemment. Elle n’était plus en mesure de sortir le moindre ouvrage, elle devait de l’argent à tous les imprimeurs… Aucun ne voulait plus travailler pour elle. Maman l’a su après. Des auteurs déçus lui avaient écrit pour la mettre en garde… Certains se trouvaient dans le même cas qu’elle, d’autres, qui avaient pourtant été publiés, n’avaient jamais reçu aucun droit d’auteur, tandis que d’autres encore se plaignaient d’avoir participé financièrement pour rien. Aux abois, l’éditrice allait jusqu’à recruter des auteurs payants… En dernier lieu, une plainte avait même été déposée contre elle et la police venait de lui saisir son matériel. A ce stade, les éditions du Manoir n’existaient quasiment plus… Nul doute que cette dernière expérience encore plus malheureuse, n’ait achevé ma pauvre maman, la poussant au suicide !
Ainsi donc, un mauvais sort en a décidé, ma mère sera publiée à titre posthume… De toute manière, en France il faut souvent être mort pour être reconnu. À se demander si on ne la publie pas maintenant que parce qu’elle s’est… Alors, ma vie durant, je m’emploierais à faire honorer sa mémoire. J’essaierai d’être pour elle, ce que Max Brode a été pour Kafka…
Et quand je pense que c’est ce qu’elle me confiait souvent, en riant d’un rire amer et désabusé, ma pauvre chère maman… Elle me disait : « Tu sais, Eléonore, j’aurais peut-être la chance, moi aussi, d’être publiée à titre posthume, après tout ! Ce sera toujours mieux que rien ! Remarque, ça me fera une belle jambe, une fois que je serai là-haut ! ».
Elle ne croyait, hélas, pas si bien dire, la malheureuse femme… Le destin est parfois si cruel, il est là où on ne l’attend pas. Maintenant, je le sais, et l’avenir me fait peur…
mardi 30 octobre 2007
En écho à mon article "Humeurs littéraires", voici une nouvelle extraite de mon recueil déjà présenté, "Comme un noir soleil", paru en 2006.
Publié par Justine Mérieau à 10/30/2007 02:24:00 AM
Libellés : amour, auteur, couple, désespoir, ecrivain, editeur, manuscrits, suicide, vie
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JUSTINE MERIEAU - ECRIVAIN
Blog destiné à faire connaître mes livres, romans et nouvelles. J'y présente des extraits de ceux-ci, avec également quelques inédits. Mais on y trouvera aussi mes humeurs littéraires du moment...
Bienvenue aux amoureux de la littérature !
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Qui êtes-vous ?
- Justine Mérieau
- Saint-Joseph, 97480, Réunion
- Ecrivain nantais, je suis romancière et nouvelliste. Je demeure à La Réunion depuis 1987.
1 commentaire:
Tu es tres sensible,et douee.Je te felicite pour ce texte et j'ai hate a lire le reste.
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