Du côté opposé à la mer, nous traversions souvent des quartiers genre bidonvilles, et je me souviens qu’un peu déçu, je commençais à m’inquiéter, me demandant si toute l’île allait ressembler à ça. Parfois, on rencontrait des ronds-points gazonnés et fleuris, et je fus stupéfait d’y voir sécher du linge sur l’herbe, étalé aux quatre coins… « Drôle d’habitude ! , m’étais-je dit, que d’y mettre ses vêtements au soleil en pleine circulation, au milieu de la poussière et de la pollution ! Pas très hygiénique ! ». Apparemment c’était permis, la police laissait faire…
Après un parcours d’une vingtaine de minutes, on arrivait enfin dans le centre de la capitale. L’aspect de cette ville autrefois sous dominations différentes, dont anglaise en dernier, me sidéra. Comme dans tout pays ayant été colonisé, Colombo présentait un véritable paradoxe entre ce qu’il fut et ce qu’il était devenu… Toujours ceint par l’ancien fort édifié au 16è siècle par les Portugais, sur le front de mer subsistait le palais du gouverneur, imposant avec ses colonnades blanches ; les vastes pelouses du palais également, sauf qu’elles ne servaient plus à présent ni aux joueurs de cricket ni aux joueurs de polo, ces sports si chers aux anglais qui les avaient créées là tout exprès ; mal entretenues, elles n’étaient plus qu’un lieu de balade comme un autre. J’aimais faire ressurgir dans mon esprit les joueurs de polo sur leurs chevaux, casque colonial sur la tête et maillet à la main, galopant sur ce vaste espace vert pour attraper la balle au bond… On était bien loin d’un tel spectacle maintenant, les autochtones avaient depuis longtemps repris leurs coutumes ancestrales. On voyait surtout la misère et l’insalubrité qui régnaient en maîtresses incontestables des lieux… Les anciennes bâtisses imposantes et nettes des Portugais, Hollandais et Anglais se perdaient dans la masse de constructions inégales, sales et miséreuses. Les rues souvent inondées et pleines d’immondices sentaient l’urine. Une population la plupart du temps en haillons, grouillante, se pressait sur des trottoirs presque toujours défoncés. Ce qui frappait le plus dans cette marée humaine si dense, c’était le nombre de personnes handicapées… Je me souviens particulièrement d’une femme sans âge, qui pour se mouvoir ne marchait pas, mais parvenait tout de même à se traîner sur le trottoir en position allongée, s’aidant de ses deux mains valides : elle n’avait plus de jambes, son corps s’arrêtait au tronc… C’était à la fois poignant et lamentable, que de la voir ainsi se contorsionner à travers une foule indifférente, surtout lorsqu’elle entreprit de monter ensuite dans un bus à l’arrêt : son escalade sur le marchepied dura une éternité, et je fus surpris autant que scandalisé de constater que personne ne lui vienne en aide. Il me vint plus tard à l’esprit que cette femme devait peut-être faire partie de cette caste indienne, que l’on nomme « Les intouchables »…
La circulation dans la capitale semblait à chaque minute être un véritable défi à l’équilibre et à la sécurité… Les rickshaws, ces scooters arrangés à la façon asiatique avec leur trois roues ( une à l’avant, au-dessus de laquelle siégeait le chauffeur, et deux autres à l’arrière au-dessus desquelles s’installaient les clients) ainsi que leur toit bâché leur donnant des allures de mini voiture, fonçaient à une vitesse folle dans les rues, se faufilant partout entre automobiles, bus et minibus. J’eus la peur de ma vie, lorsqu’il me prit l’envie de monter dans l’un d’eux pour visiter la capitale…
J’avais prévu de partir excursionner sur la côte ouest le lendemain. Près de la gare routière où se trouvait également la gare ferroviaire, je prendrais le train qui m’emmènerait vers les trois stations balnéaires que j’avais choisies : Hikkaduwa, Mir Issa et Unawatuna… On y trouvait plein de Guest-houses et de bungalows bon marché, ce serait dans mes prix ! De plus, tout ça était situé en pleine jungle, au bord de magnifiques plages de sable blanc… un peu maculées, hélas, par les nombreuses bouses des vaches sacrées qui errent ici partout en liberté – religion oblige – mais, Dieu merci, foulées également par le pas colossal et majestueux du divin éléphant dirigé par son cornac…
Un magnifique séjour je fis là… Loin du tintouin de la capitale, régnait une ambiance particulière qu’on ne retrouvait nulle part ailleurs. Sauf bien sûr en Inde. C’était l’atmosphère d’India song, si bien dépeinte par Marguerite Duras… Une atmosphère indéfinissable, où l’on se sentait pris malgré soi de langueur, où une certaine torpeur bienfaisante vous envahissait, vous laissant dans un état second ; mais pour moi qui excursionnais, loin d’être ennuyeux cet état m’emplissait de sérénité. Il me semblait clair que tout ceci soit dû au climat chaud et humide, à la mousson ponctuelle qui arrête le temps, à la végétation aux subtilités variées, dont certains parfums, comme l’odeur des frangipaniers, vous prenaient aux narines, vous enivraient délicieusement ; mais surtout, surtout, à l’esprit zen des habitants si chaleureux, à leurs coutumes religieuses, notamment le bouddhisme, avec ses gracieux bonzes tout d’orange vêtus, et dont le visage reflétait en permanence bonté, paix et humanité… En bref, à leur façon de vivre, naturelle et un peu au ralenti.
Me remémorant tous ces souvenirs, je ne peux soudain m’empêcher de frémir d’horreur, lorsque je revois en pensée les images effroyables retransmises à la télévision en 2004, sur le tsunami qui a ravagé tous ces beaux endroits où j’ai vécu un temps… Je me verrais mal retourner là-bas à présent, ça m'attristerait trop. J’avais noué quelques amitiés ici et là, j’aurais trop peur de ne plus retrouver personne…
Bon… J’arrête. Ce sera tout pour ce soir… Avec ces souvenirs-ci, j’ai encore un peu plus le coup de blues ! Et puis, je n’y vois plus clair et ne fais que bailler. Demain sera un autre jour… Et comme je n’ai toujours pas reçu le coup de fil tant attendu, cette fois je suis bien décidé : je vais tout faire pour arriver à parler enfin à Clémence… Quitte pour cela à appeler ses parents ou quelqu’un de sa famille s’il le faut… Parce que ça ne peut plus durer !
A suivre...
lundi 17 septembre 2007
Journal d'un ancien globe-trotter - Suite 6
Publié par Justine Mérieau à 9/17/2007 01:01:00 AM 1 commentaires
Libellés : amour, couple, Dom, journal, la reunion, vie, voyage
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JUSTINE MERIEAU - ECRIVAIN
Blog destiné à faire connaître mes livres, romans et nouvelles. J'y présente des extraits de ceux-ci, avec également quelques inédits. Mais on y trouvera aussi mes humeurs littéraires du moment...
Bienvenue aux amoureux de la littérature !
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Qui êtes-vous ?
- Justine Mérieau
- Saint-Joseph, 97480, Réunion
- Ecrivain nantais, je suis romancière et nouvelliste. Je demeure à La Réunion depuis 1987.