vendredi 6 février 2009

BERTHE ET REBECCA ou deux Nantaises des années 80 - roman paru en décembre 2008, éditions Orphie




TEXTE DE QUATRIEME DE COUVERTURE

Rebecca est une belle femme libérée. Mais juive, elle a connu enfant les camps de concentration, la perte des siens, la difficulté d’en parler au retour, l’exclusion et l’antisémitisme.
Berthe est une jeune fille qui n'a pas vraiment d'attrait physique et qui se trouve laide. Elle supporte très mal le rejet et le regard souvent indifférent des autres.
Et pourtant, ces deux Nantaises des années 1980 – parce qu’elles vivent chacune leur différence – se sentent proches, et leur amitié sera déterminante dans leur évolution et leurs choix.
L'auteur a su trouver les mots justes pour décrire les sentiments des deux femmes, qui ont plusieurs points communs, dont celui de la littérature.

Ce roman permet au lecteur de découvrir la ville de Nantes, où se situe une grande partie de l'existence de Berthe et Rebecca ; ce, jusqu’au moment où surviennent certains faits qui vont changer leur destin…

Justine Mérieau, en choisissant Nantes pour cadre d’une grande partie de son action, privilégie ses propres racines : elle qui vit de nouveau à La Réunion, après quelques années passées à Mayotte, soit depuis vingt ans hors métropole, n’a pas oublié les rues, les cafés, les odeurs de sa ville… Une atmosphère qu’elle a su retrouver au plus profond d’elle-même. Elle trace l'histoire d'une plume rapide, et ses récits ne peuvent laisser indifférent : c’est pourquoi le lecteur se sentira proche de ses deux héroïnes et les aimera.

Il ne faut pas manquer le quatrième livre de cet écrivain, qui vous fait redécouvrir une page de l’Histoire de France – la seconde guerre mondiale – aux conséquences douloureuses.
Mais le roman pose aussi différentes questions : comment survivre, en étant physiquement différent des critères véhiculés par la mode du moment ? Pourquoi le nazisme avait-il pu s'installer en Allemagne sous Hitler ? Pourquoi – et depuis quand – l'antisémitisme existe-t-il et peut-il encore perdurer ?

Et des questions posées, il y en a bien d'autres tout au long du livre….


EXTRAIT DU CHAPITRE I

Tout en songeant, Berthe, allongée nue sur son lit, inconsciemment, se caressait… Elle en prit soudain conscience, et eut tout à coup une subite et violente envie de se faire plaisir. Alors, elle se laissa aller à des caresses plus précises et plus intimes… C’était, par force, devenue une fervente adepte de l’onanisme… Elle préférait à présent utiliser ce mot savant – appris de Rebecca – plutôt que l’autre, certes plus usité et plus juste, mais qu’elle trouvait à la fois inélégant et un peu obscène. Cette pratique avait au moins l’avantage de lui procurer un plaisir qu’aucun homme en mesure de lui plaire n’avait jamais voulu jusqu'à présent lui donner… Malgré l’envie qu’elle en ressentait depuis longtemps. Et puis, cela calmait pour un temps les ardeurs normales d’une jeune fille de son âge… Ou encore, celles, légitimes, que toute femme est en droit d’éprouver. Parce que, tout de même, songeait-elle à chaque fois, regrettant de n’avoir que ce moyen pour l’instant, la femme ne pouvait pas éternellement se contenter des plaisirs solitaires pour honorer et épanouir sa féminité…
À vingt-cinq ans, Berthe était encore vierge, chose incroyable, presque inconcevable, à une époque où dès dix-sept ou dix-huit ans, quand ce n’était pas avant, beaucoup de jeune filles ne le sont déjà plus et jouent les affranchies. Mais elle n’en avait que faire, pensant sincèrement qu’il valait encore mieux être comme elle, que comme toutes ces petites « Lolita », auxquelles elle n’eut jamais voulu ressembler, tant elle les trouvait pitoyables. Elle se demandait simplement avec angoisse, si elle rencontrerait un jour l’homme de sa vie…

*
Un moment plus tard, Berthe la voluptueuse à ses moments secrets, soulagée, enfin rassérénée, se leva, prit une douche rapide, s’habilla, se rendit dans sa cuisine où elle mangea avec un peu d’appétit et partit ensuite s’installer confortablement dans son fauteuil, pour suivre le programme de la télévision.
Une fois assise, elle décida subitement que, même si Rebecca n’était pas là, elle n’allait pas se laisser aller… Et qu’elle commencerait par cesser pour le moment la lecture de livres aussi déprimants que «La nausée » ou le « Traité du désespoir », (prêtés par son amie) bien qu’elle affectionnât Sartre et Kierkegaard, qu’elle venait tout juste de découvrir. D’eux, elle allait plutôt se mettre à lire « L’Age de raison » et « Le Journal du séducteur », dont Rebecca lui avait parlé et qu’elle avait justement dans sa bibliothèque.
Et le lendemain samedi, pour une fois, elle sortirait… D’abord, pour faire ses courses, ensuite, pour dîner au restaurant, « Le nez grillé », situé quai de la fosse où elle habitait, mais à l’autre bout, ce qui ne lui ferait tout de même pas très loin à aller. Parce qu’elle évitait toujours de sortir seule la nuit, à cause des mauvaises rencontres. Mais sur ce parcours-là, malgré les « viandes saoules » qu’elle ne manquerait sûrement pas de croiser, entrant ou sortant des nombreux bars à matelots qui fleurissent tout au long du quai, elle n’avait jamais peur. Même si le quai de la Fosse n’avait pas toujours bonne réputation, avec les quelques péripatéticiennes qu’on y remarquait parfois… Ce qui lui avait d’ailleurs valu l’appellation de « quai de la Fesse », par les plus facétieux ! Elle s’y sentait malgré tout un peu chez elle. Et puis, au « Nez grillé », il y avait Paulette, une connaissance… Une femme d’un autre genre que Rebecca, mais en quelque sorte une amie tout de même. Paulette était moitié serveuse, moitié gérante de ce restaurant, qui tenait également lieu de bar de nuit.
Si « Le Nez grillé » avait été baptisé ainsi, c’était très certainement à cause du jeu de mots se rapportant à une époque bien cruelle. Celle où les armateurs nantais habitaient sur les quais de ce que l’on appelait alors l’île Feydeau, (depuis lors, une bonne partie de la Loire a été comblée pour gagner du terrain) dans leurs immeubles, face à leurs vaisseaux, – en tout, une flotte qui en comptait pas moins de mille huit cents – et où ils faisaient au XVIIIème siècle commerce avec l’Amérique et les Antilles françaises ; non seulement du coton, des épices, de la vanille et du café, mais encore et surtout, des esclaves noirs qu’ils transportaient tel du bétail et ramenaient à Nantes à pleines cales… Cinq cent mille Africains débarquèrent ainsi tout au long de ces années-là ! D’où le surnom de « Négriers » donné aux armateurs.
Nantes, qui fut le premier port de France de 1700 à 1730, avait eu en effet le triste privilège de devenir le port des négriers, en assurant plus du tiers de la traite française vers 1750. Et l’or noir qui faisait alors faire fortune n’était pas le pétrole, mais la chair humaine !…

Berthe s’arrêta un instant dans ses pensées pour regarder et écouter Memphis Slim, qui venait d’apparaître sur l’écran. En pleine extase, elle s’imprégnait de la chaude, profonde et mélodieuse voix de Memphis, qui, comme toutes celles des chanteurs noirs américains, était si prenante, si captivante, si nostalgique et si poignante parfois. Chez Memphis, le plus étonnant était le jeu de ses doigts sur les touches du piano : des doigts extraordinairement longs et fins ; maigres, même… Ce qui était un véritable paradoxe, lorsqu’on les comparait à cet homme corpulent, au visage lunaire, gras, boursouflé… Ces mains-là, paraissaient provenir d’un autre corps ! Intriguée et sous le charme, Berthe ne laissait pas de s’en étonner.
Peu après, Memphis disparut de l’écran, la laissant avec du vague à l’âme, qui s’évanouit dès que le film qu’elle attendait fit son apparition. Et après une soirée divertissante qui la réconforta quelque peu, elle partit se coucher.

JUSTINE MERIEAU - ECRIVAIN

Blog destiné à faire connaître mes livres, romans et nouvelles. J'y présente des extraits de ceux-ci, avec également quelques inédits. Mais on y trouvera aussi mes humeurs littéraires du moment...
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Saint-Joseph, 97480, Réunion
Ecrivain nantais, je suis romancière et nouvelliste. Je demeure à La Réunion depuis 1987.