Il doit d’ailleurs être impossible de passer une vie sans souffrir à un moment ou un autre. Souffrance morale, à défaut de l’autre qui en frappe hélas aussi certains… Je tâchais de me consoler comme je pouvais… La méthode Coué, qui en vaut bien une autre ! Je ne devais pas me laisser aller, je devais réagir…
Oui, je dois réagir ! Mais que faire à présent ? Ma vie à La Réunion tournait autour de Clémence… Rester ici sans elle ne m’intéresse plus. D’ailleurs, cinq ans sur l’île, c’est suffisant… J’en ai fait le tour, j’ai vu tout ce qu’il y avait à voir plusieurs fois. Tous les endroits présentant le plus d’intérêt, tous les sites les plus grandioses… J’ai un album photos rempli de clichés de Cilaos, du Piton des Neiges, du volcan de la Fournaise, du Grand Bénaré, de la Plaine des sables, de Salazie et Hell-Bourg, des Trois Bassins, de la Plaine des palmistes, de Mafate, de la Plaine des Cafres, de Bassin la Paix… Pour ne citer que les plus connus…. J’ai même pris la peine de noter, parce que je les trouve vraiment sublimes, ces quelques vers de Leconte de Lisle, que l’illustre poète réunionnais écrivit à la gloire du Piton des Neiges :
« Jamais le pic glacé n’entend l’oiseau siffleur,
Ni le vent du matin empli d’odeurs divines
Qui rit dans les palmiers et les fraîches ravines,
Ni parmi le corail des antiques récifs,
Le murmure rêveur et lent des flots pensifs
Ni les vagues échos de la rumeur des hommes,
Il ignore la vie et le peu que nous sommes.
Et calme spectateur de l’éternel réveil,
Drapé de neige rose, il attend le soleil. »
Oui, je vais partir… Donner, moi aussi, ma démission… Reprendre la route. J’ai un copain qui vit en Nouvelle-Calédonie, ça fait longtemps qu’il me propose de venir m’y installer. C’est le moment où jamais ! Puisque cette occasion malheureuse m’en est donnée…
Allez, profitons-en pour mieux faire passer l’amère pilule, ce sera toujours ça de gagné ! Il faut bien trouver des solutions pour ne pas se laisser abattre… Et faire apparaître le côté positif sur ce qui nous arrive de catastrophique…
Ce soir, pour la dernière fois ici, je vais refermer ce carnet… Qui, avec mes vieux souvenirs de voyage, contient maintenant mon énorme déconvenue. Je l’emporterai bien sûr avec moi… A cause des souvenirs qui y sont consignés, mais également parce qu’il restera à jamais l’unique témoin de mon amour pour Clémence. Un amour bafoué, certes, mais un amour qui a réellement existé entre nous les premières années. Finalement, ce sera comme si j’emportais un peu d’elle avec moi…
Seulement, ce carnet, il ne faudra surtout pas que je le relise trop vite… Cela attiserait forcément ma souffrance, et je risquerais de le détruire sur un coup de tête !
Allez, adieu cher cahier, adieu ma vie ici ! Et vive l’aventure nouvelle !
Mieux vaut crâner que pleurer…
Et ainsi s’achevait le mystérieux carnet… Il n’avait à présent plus de secret pour moi.
J’étais entrée par hasard, et bien involontairement, dans la vie privée d’autrui. Je me fis soudain l’effet d’une voyeuse, et me sentis d’un coup légèrement mal à l’aise. Pénétrer aussi brutalement dans l’intimité de gens inconnus, surtout lorsque celle-ci dévoile une sorte de drame intime, représente quand même quelque chose d’assez délicat…
Un peu étourdie et bouleversée par cette lecture, je restais quelques minutes au fond de mon fauteuil à méditer sur cette malheureuse histoire. Je demeurais partagée… A la fois je comprenais la jeune fille, tout en me mettant également à la place de ce pauvre Alexandre. Des histoires d’amour qui finissent mal, ce n’était pas nouveau, ça n’avait rien d’extraordinaire, rien de surprenant. J’en savais hélas quelque chose… Non, ce qui était surprenant, c’était que je me retrouve avec un carnet qui ne m’appartenait pas. Que j’avais ramassé sous un banc, sans savoir ni pourquoi ni comment il avait pu atterrir là… Et je me posais des questions.
Le dénommé Alexandre écrivait dans ses dernières lignes, qu’il lui viendrait peut-être l’envie de détruire sa prose s’il la relisait trop vite… S’était-il tout de même relu, et avait-il jeté volontairement le témoin de son infortune ? Dans ce cas, s’il tenait vraiment à s’en séparer… Et cela aurait eu lieu au Jardin de l’Etat ?... Mais quand ? On était le dix-huit janvier 2005, et son journal indiquait le six janvier comme dernière date… Questions auxquelles il me sera à jamais impossible de répondre, j’en ai bien l’impression…
En attendant, c’était moi qui détenais ce carnet… Quoi en faire ? Le restituer, mais à qui ? Son auteur l’avait peut-être tout bonnement égaré ?… Il semblait coutumier du fait. Seulement, j’ignorais tout de lui et ne pouvais donc le lui remettre… D’ailleurs, s’il s’était finalement décidé à quitter l’île, ce n’était plus la peine que je cherche à le retrouver… Et quand bien même ? Je me verrais mal lui rendre un carnet intime, qui en plus dénonçait ses malheurs… Je me trouverais plutôt dans une sale position… Il se douterait forcément que j’ai tout lu… A moins que… A moins que je me rende un soir sur le Barachois, au Roland Garros… Je risquerais sans doute d’y glaner quelques infos sur ledit Alexandre ou encore sur son ami Arnaud par des connaissances à eux… Peut-être même d’y rencontrer cet Arnaud, puisque c’était un habitué des lieux… Et ainsi me débarrasser du carnet encombrant, en le remettant à quelqu’un…
Je ne vais quand même pas garder un morceau d’une vie qui ne m’appartient pas !
A suivre...
mardi 9 octobre 2007
Journal d'un ancien globe-trotter - Suite 9
Publié par Justine Mérieau à 10/09/2007 03:19:00 AM
Libellés : amour, couple, Dom, journal, la reunion, vie, voyage
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JUSTINE MERIEAU - ECRIVAIN
Blog destiné à faire connaître mes livres, romans et nouvelles. J'y présente des extraits de ceux-ci, avec également quelques inédits. Mais on y trouvera aussi mes humeurs littéraires du moment...
Bienvenue aux amoureux de la littérature !
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Qui êtes-vous ?
- Justine Mérieau
- Saint-Joseph, 97480, Réunion
- Ecrivain nantais, je suis romancière et nouvelliste. Je demeure à La Réunion depuis 1987.
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